lundi 4 avril 2011

Retour d'information de la "délégation FGC" au FSM Dakar 2011



Retour d’information de la « délégation FGC
au FSM de Dakar »[1]




                                                                                                         © I. Lanfanconi-Lejeune



CONTENU

1) Impressions, déambulations et bonnes initiatives du FSM 2011, Isabelle Lanfranconi-Lejeune, Tourism for Help

2) Compte rendu du FSM Dakar 2011, Ousmane Dianor, ACCED et Président de la Commission technique de la FGC

3) Pour le meilleur et pour le pire ... ou quelques impressions sur le Forum social mondial à Dakar, Yanik Marguerat , secrétariat FGC

4) Compte-rendu du FSM – Dakar 2011,  Romuald Pial, Commission technique de la FGC



1. Impressions, déambulations et bonnes initiatives du FSM 2011.

Isabelle Lanfranconi, fait à Dakar-février 2011

J’ai eu le privilège d’accompagner une petite délégation représentante des  AM de la FGC qui se rendait au Forum Social Mondial (organisé pour cette édition à Dakar) ce petit texte vous donnera un compte rendu un peu débridé (comme l’évènement lui-même) sur notre aventure là bas.
En ce qui me concerne, c’était ma première participation à un rassemblement d’une telle envergure et j’ai été ravie de vivre cette expérience avec mes autres collègues des Associations Motivées.
Le premier jour de la manifestation a donné le LA à ce que serait tout notre séjour à savoir : une éternelle recherche d’informations, de kilomètres parcourus pour trouver les lieux des ateliers…..et joie infinie lorsque par hasard (au coin d’une tente, par terre, en boule dans une poubelle) apparaissait à nous : LE PROGRAMME DU JOUR….sésame éphémère !
La désorganisation totale du Forum n’a heureusement pas entamé notre bonne humeur et notre intention à remplir notre tâche : vous restituer ce que nous avons vécu !
Pour en revenir  à notre quête assidue pour trouver les endroits et heures auxquels nous voulions assister aux différents débats, j’ai opté finalement pour une lecture matinale de « La flamme de l’Afrique » , l'initiative d'animer ce journal découle d'un partenariat entre Enda Tiers-monde, l'Institut Panos Afrique de l'Ouest et Women for Change. Au-delà d'un accompagnement à la participation africaine dans le cadre du Fsm, Flamme d'Afrique traduit aussi une volonté d'impliquer davantage le secteur des médias et de la communication pour renforcer le mouvement social africain en assurant une plus large diffusion des idées, des enjeux et des perspectives qui se dessinent.
Ce journal  me retraçait en différé les moments forts de la veille et nous annonçait également les « irradiations » énormes que provoquait notre tribu de plus de 40.000 personnes (le double selon les organisateurs !) au sein de la capitale sénégalaise.
Voici un morceau choisi tiré du « Quotidien », journal local et qui reflète assez bien l’ambiance de ce forum: « Premier jour ouvrable du Forum : des milliers de participants au Forum, badge autour du coup, se mêlent à la foule des étudiants de Diop. La quasi-totalité de ces derniers, on l’apprendra plus tard de la bouche de leurs camarades, n’étaient pas au courant que le FSM se tenait sur leur campus. Fidèle à sa réputation de joyeux bordel, le Forum connait quelques problèmes d’organisation : enregistrement laborieux des participants, lieux des activités prévues dans le programme changés sans préavis, annulés, ou introuvables… Le journal sénégalais Le quotidien note que les organisateurs du FSM, la présidence de l’Université et le gouvernement sénégalais se renvoient la balle pour justifier ce qu’une volontaire interrogée par l’AED a qualifié d’« organisation déplorable », et ce en dépit des fonds mobilisés – Le quotidien cite ainsi le chiffre de 2 millions d’euros sans compter les frais d’inscriptions de plusieurs dizaines de milliers de participants.Les stands sont regroupés en divers lieux du campus, tandis que le programme fait état d’un nombre canonique de conférences et ateliers se regroupant autour des douze axes retenus pour ce FSM 2011, parmi lesquels « Pour la liberté de circulation » et « Pour la valorisation des luttes africaines ». Le thème de cette première journée fait honneur au continent hôte, puisqu’il porte sur l’« Afrique et les diasporas »……. 
Mise à part les conditions un peu laborieuses décrites ci-dessus, il faut retenir les autres moments forts intra forum qui sont pour moi, les violences faites aux femmes Sahraouies Occidentales de la part d’une délégation marocaine, la révolte des bacheliers sénégalais non réorientés qui ont profité du forum pour partager leurs revendications, la caravane des sans papiers Bamako-Dakar, la nouvelle offensive des défenseurs du peuple palestinien, le Dakar étendu, la venue de Lula Inacio da Silva, Evo Morales et Martine Aubry. Les évènements qui se sont passé en Égypte et en Tunisie en même temps que le FSM a eu un impact certain sur le Forum. N’oublions pas que des bases solides assorties de chartes et recommandations ont été faites lors de cet évènement notamment avec la mise en place du FAME (Forum Mondial de l’eau 2012), des associations qui ont traité sur la libre circulation des personnes et l'idée du passeport de citoyenneté universelle qui a été reprise dans tous les ateliers sur le sujet des migrations.
Pour ma part, j’ai décidé de suivre et couvrir les deux grandes thématiques qui tiennent au cœur de notre association : le tourisme responsable et la place de la femme rurale dans l’agriculture et l’entrepreneurship (voir articles). Ce voyage au centre des préoccupations mondiales actuelles a été riche d’enseignement et de réflexion pour la suite de mon travail dans nos projets. Je vous transmets ci-après des liens et documentations forts utiles pour nous tous et dont je parle plus haut. Cette liste est non exhaustive mais elle vous donne quelques renseignements sur les structures les mieux représentées et organisées présentes  à Dakar, des versions papiers sont aussi disponibles si vous le désirez, n’hésitez pas à me contacter.
Je reste toujours aussi intimement  convaincue qu’un autre monde est possible ! ,

solidairement à tous.
Isabelle Lanfranconi

2. Compte rendu de FSM Dakar 2011

Ousmane Dianor

Du 3 au 11 février 2011, j’ai pu me rendre grâce à l’appui de la FGC, à la onzième session du Forum Social Mondial qui s’est tenue à Dakar au Sénégal.

Objectifs de la participation

1.     participer aux débats liés aux trois ateliers ci-dessous :
    1. Les migrations internationales et contributions de la diaspora (Axe 4 - Pour la liberté de circulation et d’établissement de toutes et de tous, etc.),
    2. La souveraineté alimentaire (Axe 3 du FSM - Pour l’applicabilité et l’effectivité des droits humains – économiques, sociaux, culturels), environnementaux, droits civils et politiques, y compris les droits des enfants)
    3. Le commerce équitable (Axe 7 - Pour la construction d’une économie sociale, solidaire, émancipatrice).
2.     échanger et apprendre de nouvelles pratiques à intégrer dans le travail de coopération au développement d’AccEd
3.     multiplier les rencontres et échanges et développer un réseautage qui puisse profiter à AccEd et ses partenaires
4.     faire part, notamment, de l’expérience suisse et genevoise en matière de migration, ainsi que d’initiatives alternatives dans d’autres domaines (rapports Nord-Sud en général, écologie et respect de l’environnement, etc.).

Compte rendu

Le choix des axes de travail et des ateliers du FSM 2011 a été fait en relation avec les bouleversements et les chocs que traverse le monde et qui se caractérisent par une crise sociale et géopolitique (pauvreté, inégalités sociales et conflits qui entrainent le déplacement des populations à la recherche de lendemains meilleurs) ; une crise écologique (épuisement des ressources naturelles, baisse de la biodiversité) ; et une crise idéologique (mise en avant des mécanismes du marché dans l’agriculture qui entraine une spécialisation des territoires et qui se fait au détriment de la souveraineté alimentaire)[2]. Ces situations de crise ont été et sont à nouveau analysés par le mouvement altermondialiste, qui a proposé des alternatives à l’approche dominante libérale, qui bien qu’elle ait ses preuves lors des trente glorieuses, est actuellement source de pauvreté, d’exclusion, de marginalisation et de violence.

1.- Dans le domaine des migrations, l’île de Gorée a été le lieu symbolique pour l’élaboration de la Charte Mondiale des Migrants. Cette charte dénonce l’incohérence interne du libéralisme qui prône la liberté de circulation des facteurs de production tout en interdisant à certaines catégories de populations (surtout celles issues des pays pauvres), de se déplacer à la recherche de « bien-être ». Ces pratiques mises en œuvre par des Etats Nations pour des raisons sécuritaires, privent les migrants de leurs droits économiques, sociaux, culturels, civiques et politiques pourtant reconnus par les différentes conventions internationales. Pour contrer cette dérive, les migrants du monde entier, ont proclamé le 4 février 2011 à Gorée, la Charte Mondiale des Migrants stipulant que « parce que nous appartenons à la terre, toute personne a le droit de pouvoir choisir son lieu de résidence, de rester là où elle vit ou de circuler et de s’installer librement sans contrainte dans n’importe quelle partie de cette terre ».
2.- Dans le domaine agricole, les organisations paysannes, les syndicats et les organisations de la société civile ont vivement critiqué l’uniformisation des modes de production et de consommation, qui est cause de violence symbolique et réelle (privatisation, accaparement et dégradation des ressources naturelles) et réaffirmé le droit à la souveraineté alimentaire. Ce concept développé par Via Campesina en 1996, préconise le droit des peuples et des Etats  à mettre en place les politiques agricoles les mieux adaptées à leurs populations sans « dumping » sur un pays tiers. Complémentaire au droit à l’alimentation (accessibilité et disponibilité), la souveraineté alimentaire met en avant les conditions sociales et environnementales de production des aliments, milite pour un accès plus équitable à la terre pour les paysans pauvres, promeut l’agriculture vivrière et familiale tout en refusant l’utilisation des plantes transgéniques dans l’agriculture. Dans cette logique, « l’Appel de Dakar », rédigée par l’assemblée de convergence des organisations paysannes présentes au FSM, a dénoncé tous les processus d’accaparement des terres par les firmes privées et transnationales. Ce processus empêche la plupart des pauvres dans les pays du Sud de « manger à leur faim », ce qui est un principe élémentaire des droits économiques, sociaux, et culturels, adoptés depuis 1948[3].

3. -Dans le domaine du commerce mondial, les ateliers ayant traité le sujet, ont dénoncé l’incohérence des politiques publiques des pays du Nord, qui sous forme de subventions déguisées, inondent les marchés des pays du Sud, réduisant à néant les efforts de leurs agriculteurs qui n’arrivent pas à vivre de leur activité. Ces échanges biaisés entre Nord et Sud en plus des barrières douanières, ont été désignés comme cause de déséquilibre des économies des pays du Sud et responsables du processus d’endettement et de surendettement de ces mêmes pays qui sont actuellement sous « ajustement structurel » de la part de la Banque mondiale et du FMI[4]. Cette problématique du commerce mondial a été dénoncée par les mouvements en faveur du « commerce équitable » et par le « Comité d’annulation de la dette du Tiers Monde », qui préconisent respectivement la promotion d’un commerce solidaire de proximité et l’annulation pure et simple de la dette des pays du Sud.

Le lecteur non averti pourrait trouver ce résumé à la fois réducteur et utopique. En effet, ce résumé ne peut être exhaustif vu l’ampleur des évènements durant ce FSM (qui ont été pour la plupart auto-organisés) et les problèmes de logistique inhérents aux forums sociaux et qui empêchent de participer à la plupart des ateliers. Les propositions issues du mouvement altermondialistes sont certes utopiques, mais comme me l’a souvent répété le conservateur du musée de Gorée, tout en citant les figures historiques comme Gandhi et Mandela, ce sont les « grands rêves qui font les projets d’avenir ». Et à notre petite échelle, dans le cadre du « Collectif Genève Dakar Genève »[5] et du « Groupe de travail Migrations et développement au sein de la FGC », il s’agit d’œuvrer pour que ces rêves deviennent réalité. En partant des propositions issues du FSM 2011 comme base de référence, il s’agira d’organiser des séances d’information et de plaidoyer au niveau des organisations internationales présentes à Genève (institutions de Bretton - Woods et onusiennes), des institutions fédérales et cantonales suisses et dans nos différents pays d’intervention, pour la mise en œuvre des dites recommandations.

Ousmane Dianor / odianor@yahoo.fr

3. Pour le meilleur et pour le pire ... ou quelques impressions sur le Forum social mondial à Dakar

Yanik Marguerat

lundi 7 février 2011, Dakar, 3 heures du matin, je rejoins après un long voyage ma chambre à l’hôtel Le N’Diambour, quartier général de la délégation suisse menée par E-CHANGER et Alliance Sud, à laquelle je me suis greffé sur le tard. Les ami-e-s de cette délégation (représentants des syndicats, ONG, parlementaires, journalistes) sont au Sénégal depuis une semaine et ont visité plusieurs projets de coopération.

Quelques heures plus tard, après une nuit agitée et fraîche, je me retrouve dans le minibus de la « délégation » qui assure la navette entre l’hôtel et l’Université Cheikh Anta Diop. Le dépaysement est total ! entre l’accent fribourgeois, le parler lent vaudois et quelques relents de Schwitzerdeutsch provenant de l’arrière du bus, je suis émerveillé de voir comment ce petit îlot de suissitude va rapidement se fondre quelques minutes plus tard dans la masse immense de militants, étudiants et délégués des quatre coins de la planète accourus depuis la veille pour cet événement planétaire altermondialiste.

En tant que « novice » sur le circuit des forums sociaux, je suis tout de suite charmé par ce joyeux chaos poussiéreux. Il y a des semaines que la pluie n’est pas tombée sur la capitale et la fine poussière de sable se dépose partout, couvrant d’un joli film ocre toutes les surfaces. Première mission de la journée : récupérer mon badge de participant. J’arrive au centre de l’université où de nombreux stands d’associations en tous genre sont déjà montés et tente d’obtenir mon précieux sésame. Je fais une queue, puis une autre, et encore une autre pour me faire dire à chaque fois que je ne suis pas dans la bonne file. Après une bonne heure comme cela, je commence à perdre patience et me demande si finalement le fameux badge est si nécessaire... après tout nous sommes pas au centre de conférences de Davos... Et c’est là, au détour d’une xième file d’attente que mon salut apparaît en la personne de Romuald, membre de la Commission technique de la FGC, qui a réussi à mettre la main sur cinq badges et qui est plus qu’heureux de m’en remettre un. A nous les ateliers et les débats !

Rapidement, je constate que les soucis logistiques sont plutôt vastes (absence de programme du jour, manque de salles et de locaux pour tenir les ateliers) et malgré la bonne volonté de dizaines de bénévoles aux jolis t-shirts jaunes (très aimables mais ne disposant pas de plus d’information que nous) il est tout à fait impossible de prévoir ce à quoi je pourrai assister. C’est donc le hasard qui décide et en passant la tête et en « guignant » à l’intérieur d’une salle, je me laisse tenter (ou pas...) par une table-ronde, un débat, un atelier, et ce pratiquement pendant toute la durée du FSM.

La plupart des ateliers auxquels j’ai assisté ont eu lieu dans des tentes de fortune, constituées d’anciennes bâches de camion accrochées sur des structures métalliques rouillées et usées. Nombreuses sont les tentes qui n’ont d’ailleurs pas résisté au vent qui se levait tous les après-midis et qui gonflait les tentes comme des voiles de bâteaux sur un océan en furie. Malgré cette adversité, la société civile a donné tout son sens au proverbe qui dit : « contre mauvaise fortune, bon coeur » . En effet, les groupes de femmes, les paysans, les représentants d’ONG ont occupé ces espaces, ont improvisé et organisé, tant bien que mal et avec les moyens du bord, une quantité impressionnante d’événements autogéres. Je suis très agréablement surpris aussi par la quantité d’étudiants sénégalais qui participent activement aux débats, prennent la parole et donnent leur point de vue.

Le lendemain, sur une des nombreuses affichettes collées sur un mur, un panneau ou une porte, je vois l’annonce d’un atelier intéressant organisé au Goethe institute. Je m’y rends et suis frappé par le contraste : salle climatisée, sonorisation avec micros HF, présentations de certains intervenants avec des « powerpoint », traduction simultanée en 3 langues... la totale !

Un des intervenants de cette table ronde est nul autre que Patrick Viveret, Philosophe français et conseiller honoraire à la Cour des comptes. Dans sa présentation, il aborde la démarche des Dialogues en humanité mis en place pour construire le bien-vivre ensemble. Cette approche cherche à se démarquer de la conception du  « choc des civilisations » pour proposer une alternative véritable et universelle au monde tel que nous le connaissons. L’idée de base est assez simple, il s’agit de rencontres ou de dialogues entre civilisations dans lesquelles les différents groupes peuvent présenter les 3 « meilleurs » éléments de leur civilisation pour ensuite aborder, selon eux les 3 « pires » éléments de la même civilisation. Ainsi, si les occidentaux ont pu par exemple mettre en avant la notion des droits humains, les « africains »  ont pu mettre en avant le dialogue inter-générationnel et le respect des ainés comme étant ce qu’ils avaient de « meilleur ». De la même façon, l’individualisme occidental et l’excision chez les femmes africaines ont pu être présentées par les personnes concernées directement comme « le pire », ouvrant ainsi la porte à un intéressant dialogue des civilisations basé sur le concret et constituant un espèce de tri sélectif sur le meilleur et le pire de chacune des civilisations.

Ce court moment de présentation et d’échange constitue un des moments forts de ce Forum social qui aura aussi eu le mérite, à mon sens, de montrer la vivacité de la société civile globalisée (et notamment africaine) dans laquelle les mouvements sociaux peuvent échanger, se confronter et dialoguer dans un esprit constructif.

Une des principales critiques formulée à l’encontre du FSM dénonce le fait que ces grands raouts altermondialistes n’accouchent de rien de concret étant donné que les organisateurs du FSM ne souhaitent pas la publication d’une déclaration finale ou d’un plan d’action mondial qui serait compliqué à rédiger, sans parler de sa mise en oeuvre. Malgré cette volonté affichée des organisateurs de ne pas faire paraître de texte final, les organisations (ONG et mouvements sociaux) se sont toutefois retrouvées selon les thématiques au sein d’assemblées de convergence (tenues à la fin de la semaine) et dans lesquelles tous les groupements qui avaient discuté sur un thème ont pu partager en plénière ce qu’ils avaient discuté, leurs conclusions et leurs engagements. C’est de cette façon qu’un collectif a travaillé sur la rédaction de l’appel de Dakar qui a été adopté par une de ces assemblées de convergence et qui est une réalisation concrète du FSM[6].

Yanik Marguerat


4) Compte-rendu du FSM – Dakar 2011 – par Romuald Pial

Expérience très enrichissante que celle d’avoir pu participer au Forum Social Mondial organisé à Dakar du 6 au 11 février 2011, grâce au soutien de la Fédération Genevoise de coopération et de l’Association Suisse-Cameroun.

Une semaine de débats, réflexion, échanges, dialogue, mais aussi de rencontres dans une ambiance festive marquée également par les développements liées aux « révolutions » dans les pays arabes.

Vite rassuré par les « habitués » des Forum sociaux après les difficultés initiales liées aux questions d’organisation, et porté par l’enthousiasme du noviciat, nous nous sommes mis à l’école de « l’autogestion ». Identifier les thématiques d’intérêt, retrouver les salles de conférences, l’un des défis majeurs, suivre les nombreuses animations culturelles, savourer les délices de la gastronomie locale, être sensible aux revendications des étudiants de l’Université Cheick Anta Diop dont les locaux accueillaient le Forum et qui dans le même temps devaient passer leurs examens. Bien sûr assister aux regroupements de la « délégation genevoise » et participer au processus « Genève-Dakar-Genève » qui avait été initié dans le cadre de la plate-forme « Dakar étendu ». Après plusieurs tentatives infructueuses de liaison avec Genève, qui nous ont permis d’expérimenter la réalité de la « fracture numérique », nous avons pu le troisième jour « trouver le réseau », communiquer et rendre compte de l’ambiance et des débats à Dakar.

Parmi la pléiade de thèmes retenus par le Forum, il fallait faire un choix par souci d’efficacité. Mes priorités se sont vite portées vers les débats liées à la souveraineté alimentaire, la gouvernance mondiale, les biens communs de l’humanité, notamment l’eau, et l’accaparement des terres agricoles.

En effet, comment ne pas être sensible, surtout au sortir du Carrefour, à la thématique de la souveraineté alimentaire que les paysans ont défini au Forum tout simplement comme « le refus de confier son ventre à autrui, surtout à l’étranger ». Comment arriver à assurer cette souveraineté alimentaire ? En soutenant l’agriculture paysanne dont la multifonctionnalité a été mise en exergue. L’importance d’un dialogue multi-acteurs et des alliances entre organisations paysannes et sociétés civiles du Nord et du Sud ont également été soulignés. Les expériences développées par le mouvement paysan au Sénégal et en Afrique de l’ouest en général ont été très instructives. Il en ainsi d’une expérience de développement d’un marché local de produits maraicher soutenu par ENDA PRONAT qui a l’ambition de générer des échanges nouveaux entre ruraux et urbains, entre producteurs et consommateurs, et de réinventer ainsi l’économie rurale à travers des contacts directs entre producteurs et consommateurs.

Les paysans, notamment ceux des réseaux ouest-africains, ont réaffirmé avec force que « l’Afrique peut se nourrir elle-même » et que les dégâts que subit l’agriculture paysanne sont dus à de mauvaises politiques au niveau global : « une décision prise à Washington a des répercussions directes dans le champ du paysan sénégalais ». Pour sortir de ces difficultés les mouvements paysans ont souligné la nécessité du dialogue entre acteurs du Nord et du Sud, l’importance du partage d’expériences et de la valorisation des produits du terroir, la nécessité de construire des synergies et de rechercher des outils de modernisation de l’agriculture paysanne à travers par exemple, la vente directe, la traçabilité des produits, l’accès au crédit pour les paysans, et surtout pour les femmes qui en outre sont souvent confrontées au problème de l’accès au foncier.

Les débats sur la gouvernance mondiale étaient tout aussi intéressants. Notamment ceux autour des « propositions alternatives de Samir Amin » qui mettent l’accent sur la nécessité pour les pays sous-développés de se déconnecter du système actuel du commerce international, de développer les échanges Sud-Sud et de transformer les échanges entre nations en relation entre peuples. Pour que le commerce international soit basé les échanges entre communautés locales, il est nécessaire de construire une stratégie alternative qui mette l’accent sur l’autosuffisance locale et communautaire seule à même d’éliminer les causes profondes de la pauvreté. Seulement, comment se déconnecter d’un système alors les peuples ont besoin du système pour obtenir des financements, des investissements, etc. ? Comment sortir de l’emprise du système dominant ? Comment créer une alternative si l’on est convaincu que le système actuel (commercial et industriel) n’est pas capable d’apporter des solutions satisfaisantes ?

A ces différentes interrogations, il a été répondu qu’il faut repenser le développement et fonder le nouveau système sur les communautés locales. Promouvoir la solidarité entre les communautés locales avec l’objectif de garantir à chacun un standard minimum. Il faut dire que ces idées de Samir Amin ne sont pas nouvelles, et même si les interrogations restent d’actualité, les propositions ont jusque là peiné à se traduire en réalités concrètes. Et ce constat, de notre point de vue, met en exergue l’une des faiblesses du processus des Forums sociaux. Si les débats ont dans la plupart des cas été très intenses et riches, les processus de construction des convergences des idées et de définition des stratégies et mécanismes pour la mise en œuvre et la concrétisation des propositions restent à améliorer.

Sur la question des biens communs de l’humanité, il est par exemple ressorti qu’il était nécessaire de considérer l’eau comme l’un de ces biens, constat assorti de la proposition de créer une agence internationale spécifique pour la gestion de l’eau. De même concernant la question de l’accaparement des terres, le Forum a conduit à l’adoption de « l’Appel de Dakar ». Il faut maintenant espérer que ces différentes propositions et initiatives seront suivies d’effets concrets.

Qu’à cela ne tienne, le Forum Social a l’avantage de mettre en contact direct différents acteurs, de favoriser les échanges d’expériences et de permettre un débat ouvert sur des enjeux communs. A cet égard, l’Atelier de E-changer qui a regroupé les partenaires de cette organisation a par exemple permis d’avoir un dialogue très enrichissant sur les expériences de coopérations développées et la définition de la meilleure forme possible de coopération qui réponde aux besoins des organisations partenaires, des  bénéficiaires et des coopérants.

Permettez-moi de terminer ce billet en soulignant le dynamisme d’une organisation, « La Marche mondiale de femmes », dont la présence et les activités lors du Forum m’ont marqué par leur intensité et leur organisation.

N’ayant pas pu prendre part à la grande marche d’ouverture du 6 février, la cérémonie de clôture fut pour moi une belle séance de rattrapage au cours de laquelle j’ai pu apprécier la richesse culturelle de ce pays hospitalier qu’est le Sénégal.
Merci encore à ceux qui m’ont permis de vivre cette belle expérience.

Romuald PIAL




[2] Gustave Massiah et Nathalie Péré-Marzano, « Les enjeux du forum social mondial 2011 à Dakar », décembre 2010.

[3] Aminata Traoré, « Atelier sur la souveraineté alimentaire et démocratie globale », FSM Dakar 2011
[4] J.M. Paul et K. Wahlberg, "A new era of world hunger". The global food crisis”, Friedrich Ebert Stiftung, Global Policy Forum, FSM Dakar 2011, qui démontrent comment , de par leurs statuts, la Banque mondiale et le FMI promeuvent l’expansion du commerce mondial, basé sur les principes de l’économie de marché.
[5] Le Collectif regroupe des associations de migrants  et de coopération au développement actives à Genève, mis  en place en décembre 2010 pour faire le suivi des recommandations du FSM
[6] Pour voir le texte de cet appel http://www.viacampesina.org/fr/